Une étude de l'association Chemins d'avenir et de la Fondation Jean-Jaurès, réalisée par l'Ifop, montre que le lieu d'habitation des jeunes influe sur leurs choix d'études.
Les jeunes des zones rurales, des petites et moyennes villes sont confrontés à des obstacles dans leur processus d'orientation : une moindre information sur les filières et les métiers, moins de modèles professionnels auxquels se référer.
Ce qui les amène à réduire leurs options d'orientation et les empêche d'envisager des études à l'étranger.
Pour lutter contre ces inégalités, il faudrait notamment favoriser le mentorat des jeunes de la « France périphérique » par des professionnels de différents horizons.
Eux qui étaient inaudibles dans l'espace public, depuis le début de la crise des « gilets jaunes » il y a un an, ils le sont un peu moins. Les jeunes des petites et moyennes villes et des zones rurales ont témoigné des obstacles qui se dressent sur leur route. Notamment dans le domaine de l'orientation, comme le souligne une enquête* de l'association Chemins d'avenir et de la Fondation Jean-Jaurès, réalisée par l'Ifop, révélée ce mercredi par 20 Minutes.
Pour bien s'orienter dans le supérieur, encore faut-il avoir conscience du panel de formations qui s'offre à soi. Ce n'est pas toujours le cas pour les jeunes de 17 à 23 ans. Car la famille et le réseau social sont leur première source d'information pour préparer leur orientation (35 %), devant Internet (21 %) ou les professeurs de lycées (15 %). Du coup, 32 % des jeunes de l'agglomération parisienne disent ne pas avoir suffisamment d'informations pour s'orienter. Un chiffre qui monte à 42 % pour ceux des zones rurales ou des agglomérations de 2 à 20.000 habitants.
Une autocensure qui limite les possibles.
Et en matière d'orientation, le mimétisme familial joue un grand rôle. Or, si 42 % des jeunes des grandes villes disent avoir eu un modèle qui a inspiré leur choix de formation, c'est seulement le cas pour 27 % des jeunes des villes isolées et 28 % pour ceux de zones rurales.
« Ils se réfèrent davantage aux professions de leur famille, ce qui réduit les champs des possibles et favorise l'autocensure. Là où les jeunes des centres-villes auront l'opportunité de rencontrer davantage de professionnels différents, et donc auront divers modèles », explique Salomé Berlioux, présidente de Chemins d'avenir, qui aide les jeunes de ces territoires à sortir de leur isolement. « On oublie le facteur humain dans l'orientation. Or, le fait de bénéficier des clés de lecture de différents adultes sur les parcours de formations est très important » renchérit Jérémie Peltier, le directeur des études de la Fondation Jean-Jaurès.
De fait, les jeunes de la « France périphérique » vont avoir tendance à réduire leur horizon. D'ailleurs, si 67 % des jeunes de l'agglomération parisienne estiment avoir choisi des études supérieures qu'ils qualifieraient d'ambitieuses, seulement 48 % des jeunes des agglomérations de 2.000 à 20.000 habitants le pensent.
« Ils choisissent plus souvent des filières courtes à proximité de leur domicile, alors qu'ils ont autant de potentiel que leurs camarades des grandes villes. Mais ils manquent de confiance en eux », souligne Salomé Berlioux.
Des inégalités qui « fragilisent la cohésion nationale ».
Un phénomène qui s'observe aussi pour les études à l'étranger. Si 41 % des 17-23 ans vivant dans l'agglomération parisienne déclarent être encouragés à aller étudier à l'étranger par leurs familles, seulement 27 % des jeunes ruraux le sont. Idem pour la possibilité de travailler à l'étranger, dans laquelle se projettent 52 % des jeunes de l'agglomération parisienne, contre 34 % de ceux de zones rurales.
« Leur premier enjeu est d'aller étudier dans la grande ville d'à côté, pas à l'étranger. Ils sont donc dans un autre espace-temps que leurs camarades citadins qui eux, peuvent jouir de la mondialisation », explique Jérémie Peltier.
La liberté de choix d'une orientation post-bac est aussi grevée par des obstacles financiers. Car 56 % des jeunes ruraux et 53 % de ceux de villes isolées disent que leurs parents ne peuvent pas financer un logement pour qu'ils suivent des études loin de chez eux.
Et de fait, 31 % disent avoir renoncé à un certain type d'études parce qu'elles étaient trop éloignées du domicile familial. « Ces inégalités fragilisent la cohésion nationale », estime Salomé Berlioux. Les obstacles sont aussi psychologiques, ajoute Jérémie Peltier : « quand ils veulent changer de région, leurs proches leur font souvent un procès en trahison »,
Lever des obstacles.
Mais cet état de fait n'est pas figé dans le marbre et il existe des solutions pour lutter contre de déterminisme géographique. « Il faut favoriser le mentorat de ces jeunes de la France périphérique par des professionnels de différents horizons, pour leur donner accès à d'autres modèles, leur fournir des stages », estime Salomé Berlioux, dont l'association effectue déjà ce travail et a déjà pu accompagner 1.000 jeunes de 8 académies. La jeune femme a d'ailleurs été missionnée par Jean-Michel Blanquer pour rédiger un rapport sur ce sujet, qu'elle lui remettra à la rentrée 2020.
Pour encourager la mobilité des jeunes de ces territoires, Jérémie Peltier suggère qu'un voyage de dix jours à travers la France soit intégré au Service national universel et que le permis soit financé par les pouvoirs publics pour les jeunes les plus éloignés des grandes métropoles.
Enfin, il faut selon lui que les personnes issues des territoires les plus reculés communiquent davantage sur leur parcours. « Le rappeur Orelsan revendique cette France-là dans ses textes. Et dans son ouvrage Leurs enfants après eux, Nicolas Mathieu, qui a reçu le prix Goncourt en 2018, le fait aussi. Il faut continuer dans cette voie », insiste-t-il.