
Soufian Alsabbagh, spécialiste de la droite américaine, évoque les perspectives de Donald Trump après son départ de la Maison-Blanche, entre agenda judiciaire, création d'une « Trump TV » et présidentielle 2024.
Même s'il n'a toujours pas reconnu sa défaite contre Joe Biden, Donald Trump a jusqu'au 20 janvier pour faire ses valises et quitter la Maison-Blanche. Que va faire le président sortant après son mandat ? Que va devenir le Parti républicain ? Est-il envisageable que Donald Trump se présente à l'élection de 2024 et tente de devenir le deuxième président américain, après Grover Cleveland, à avoir été élu pour deux mandats non consécutifs ?
Soufian Alsabbagh professeur de géopolitique à Baruch College, New York, et spécialiste du Parti républicain, nous apporte son éclairage. Entretien.
Donald Trump n'a toujours pas reconnu sa défaite. Comment l'expliquer ?
C'est difficile de dire ce qu'il se passe dans la tête de Donald Trump. En 2016, seulement deux jours après le scrutin, Barack Obama avait reçu Donald Trump à la Maison-Blanche pour commencer la transition. Là, on peut s'interroger sur l'esprit de responsabilité de Donald Trump qui met son pays en danger en ne mettant pas le futur président dans les meilleures dispositions possible.
Malgré toutes ses gesticulations [...], il devra, de gré ou de force, quitter le pouvoir.
Comment le Parti républicain a-t-il réagi face à l'attitude du président sortant ? On a l'impression que ceux qui l'ont lâché sont ceux qui avaient déjà pris leurs distances avec lui depuis longtemps.
On retrouve les fractures habituelles au sein du Parti républicain. Premièrement, un clan très soudé, autour de Trump à la Maison-Blanche. Deuxièmement, des élus républicains qui ont été totalement convertis et qui dépendent des électeurs de Donald Trump. Et puis il y a cette troisième couche, le parti lui-même, la structure, avec ses élus issus de l'establishment, qui eux sont attachés à la vérité des chiffres et des faits et comprennent très bien que cette élection est incontestable.
Aujourd'hui, même le premier cercle pousse pour qu'il reconnaisse sa défaite ?
Donald Trump malgré toutes ses gesticulations et ses habitudes de s'arranger avec la vérité, va devoir accepter que le 20 janvier à 12 h 01, il devra, de gré ou de force, quitter le pouvoir. Certains dans son premier cercle commencent à comprendre que c'est dans son intérêt d'accepter plus tôt que plus tard cette réalité. Maintenant il y a aussi l'agenda personnel de Donald Trump. On ne sait pas dire s'il s'accroche au pouvoir par pur ego, ou si c'est dû au gouffre, notamment judiciaire, qui s'ouvre devant lui (Donald Trump est visé par deux enquêtes liées à ses affaires, qui pourraient chacune lui valoir des poursuites, N.D.L.R.).
Il a une belle occasion de lancer un média anarcho-conservateur d'extrême droite.
Que pourrait faire Donald Trump après son départ de la Maison-Blanche ?
Chris Cillizza, un journaliste très respecté de CNN a évoqué la création d'une « Trump TV ». C'est une hypothèse intéressante qui avait déjà été évoquée pendant la campagne de 2016, alors qu'Hillary Clinton était favorite. Maintenant, Donald Trump a une belle occasion de lancer un média anarcho-conservateur d'extrême droite qui lui permettrait de rivaliser avec l'audience montante de Fox News. Politiquement, ça lui permettrait aussi de conserver un lien avec ses soutiens.
Donald Trump a été battu avec 71 millions de votes, soit le chiffre le plus haut pour un président sortant. Est-ce que, malgré la défaite, cela ne renforce pas sa ligne au sein du Parti républicain ?
L'establishment du Parti républicain, les élus les plus âgés, n'hésite pas à sortir contre Donald Trump. Mais la jeune garde du Parti républicain, qui, elle, veut être réélue dans les années à venir, se sait totalement dépendante de ces nouveaux électeurs du trumpisme, qui ont adhéré à ce discours alternatif.
Le parti républicain est dépendant de Donald Trump pour gagner de nouveaux électeurs.
Aujourd'hui pour survivre, le Parti républicain devrait se fondre dans l'idéologie de Donald Trump ?
Le Parti républicain sait que ses idées sont minoritaires aux États-Unis, depuis au moins une vingtaine d'années et qu'il ne peut plus gagner contre les démocrates s'il conserve simplement son corpus idéologique. Sur les huit derniers scrutins présidentiels, il n'a remporté qu'une fois le vote populaire (lors du duel entre George W. Bush contre John Kerry en 2004, N.D.L.R.). Aujourd'hui, il est dépendant de Trump s'il veut continuer à gagner des nouveaux électeurs et essayer de convaincre les personnes dépolitisées que Donald Trump a fait venir à lui.
Peut-on envisager une candidature de Donald Trump en 2024 ?
Constitutionnellement, il en a le droit. Je pense même qu'une candidature en 2024 est l'hypothèse numéro 1. Il pourrait se servir d'un crochet médiatique avec une « Trump TV » en gardant toujours dans sa tête un objectif politique. Maintenant, s'il est empêtré dans les affaires, peut-être qu'il ne pourra pas se représenter.
Et si Trump ne se représente pas, qui pourrait mener le Parti républicain en 2024 ?
Le Parti républicain a compris que sa base avait évolué, qu'il fallait s'adapter et servir aux électeurs une sorte de récit de l'Amérique gagnante, nativiste et anarcho-conservatrice. Quand on regarde les premières intentions de vote pour la primaire 2024, deux personnalités se dégagent : d'abord Donald Trump Jr., le fils de Donald Trump lui-même. Et Tucker Carlson, éditorialiste à Fox News, qui est un peu le « Zemmour américain ». Si ce n'est pas l'un de ces deux personnages, on voit des jeunes loups du Parti républicains (Josh Hawley, Mike Lee ou Tom Cotton) qui sont des produits du sérail, se convertir et adopter toutes les idées du trumpisme. Ces trois personnalités ont déjà effectué avant même l'élection 2020 des déplacements dans les États clés des primaires de 2024.