"Eteins ta télé et allume tes neurones !"
A Lyon, Anne* fait également son deuil. "J'ai l'impression d'avoir perdu des amies." Cette enseignante à la retraite de 65 ans a été "pas mal secouée" par "une coupure radicale" avec deux amies "de très longue date", adeptes des médecines douces. A partir du premier confinement, la première a fait sienne les thèses complotistes ciblant Bill Gates et "Big Pharma". La seconde a rejoint les partisans de Didier Raoult. Anne n'a plus supporté d'être inondée par l'une d'elles de documents et de textes aux accents complotistes. "Un jour, je lui ai dit : 'Il faut que tu arrêtes.'" C'était il y a six mois. Depuis, elle n'a plus de nouvelles.

Pour Rosie aussi, une amitié précieuse s'est brisée. Dans son village du Doubs, cette mère au foyer de 37 ans reste "choquée" que sa meilleure amie, qu'elle connaît depuis l'école primaire, ne lui adresse plus la parole "depuis un mois environ". Car Rosie n'était "pas sensible" au discours "de plus en plus extrême" de son amie d'enfance. Elle n'avait pas voulu réagir aux messages et aux vidéos que celle-ci n'avait cessé de lui envoyer. Les discussions s'étaient animées de piques comme "Eteins ta télé et allume tes neurones !" Les derniers appels du pied de Rosie sont restés sans réponse.

"Elle ne veut plus me parler. Elle fait le ménage autour d'elle. Elle coupe les ponts avec les gens qui ne pensent pas comme elle."
Rosie
Delphine, elle, se force à maintenir le lien avec sa mère. Mais leur relation n'est "plus du tout naturelle". "On est en train de réfléchir à quels sujets on va pouvoir aborder à Noël. On a été obligés de lui annoncer qu'on allait venir tous avec des masques. On lui a dit : 'On vient comme ça ou on ne vient pas.' On va tous faire semblant."
Léa aussi ressent ce trouble. A Paris, cette journaliste de 30 ans est en froid avec ses deux amies d'enfance. Deux femmes "sensées" qui "ont vrillé" avec l'instauration du couvre-feu. "J'ai souvent dit à mes amies : 'Plus que le masque, plus que les chaînes d'info, c'est vous qui m'étouffez, qui m'oppressez.'" Les messages s'échangeaient "jusqu'à 5 heures du matin". Leurs discussions sont devenues "conflictuelles", voire "hystériques". "J'ai l'impression de marcher sur des œufs, qu'il faut faire attention à tout ce qu'on va dire. Tous les sujets deviennent sensibles."