Un rapport du think tank Terra Nova appelle les entreprises à faire de la santé mentale de leurs salariés une priorité.

Depuis l'épidémie de Covid, la dégradation de la santé mentale des Français, et en particulier des jeunes, est devenue préoccupante. Au point que lors de son - bref - passage à Matignon, Michel Barnier en a fait une « grande cause nationale » pour 2025. Le problème ne s'arrête pas aux portes des usines et des bureaux, alerte Terra Nova dans un rapport publié ce vendredi.

« Les entreprises n'ont plus le choix de l'attentisme, elles doivent faire du sujet une priorité », souligne Martin Richer, consultant en responsabilité sociale des entreprises et fondateur de Management & RSE, auteur de la note du think tank avec David Mahé, fondateur de Human & Work, président de Stimulus et président de Syntec conseil. Tous deux déplorent qu'« à part quelques brillantes exceptions, [l'enjeu de la santé mentale ne soit] pas entré dans la salle des comex et des conseils d'administration ».

« Déni de responsabilité. »

« Les difficultés à objectiver et quantifier, les représentations biaisées, le manque de données fiables et le déni de responsabilité ont freiné l'action », explique Terra Nova, soulignant que « les entreprises ont longtemps vécu dans l'illusion confortable selon laquelle les facteurs agissant sur la santé mentale relèvent de la sphère personnelle, voire intime ».

« C'est tellement facile de prendre le singe qu'on a sur l'épaule et de le donner au voisin », résume Martin Richer. Mais les indices de la dégradation de la situation se multiplient, avec une poussée en particulier chez les jeunes salariés, « qui ne tolèrent plus ce qui était toléré avant. »

Le nombre de pathologies psychiques reconnues comme d'origine professionnelle, c'est-à-dire liées au contexte de travail et de management, a plus que doublé entre 2016 et aujourd'hui, selon le ministère du Travail, et ce n'est que la partie émergée de l'iceberg du fait d'un phénomène de sous-déclaration chronique, souligne le rapport, qui passe en revue de nombreuses enquêtes.

Intérêt à agir.

Au-delà même de l'enjeu sociétal, et des obligations légales qui leur incombent en matière de préservation de la santé de leurs salariés, les entreprises ont un intérêt propre à agir. La dégradation de la santé mentale de leurs salariés pèse sur leur productivité. Sans compter les arrêts de travail. D'après Malakoff Humanis, les motifs psychologiques sont la principale raison de prescription d'arrêts de travail de longue durée : ils en représentaient 31 % en 2023 contre 14 % en 2020, soit un doublement en trois ans.

« Ces résultats confirment l'importance de l'enjeu des conditions de travail, de son organisation et de son management » face à ce qui est qualifié par la note de « crise systémique », alors que pour lutter contre le stress au travail, les entreprises françaises, en moyenne, mettent à disposition de leurs salariés moins de ressources de sensibilisation, de formation et de soutien que leurs homologues européennes.

Terra Nova appelle les entreprises françaises à s'emparer du sujet car les leviers d'amélioration existent, insiste le think tank. Il préconise de commencer par le début, soit un diagnostic pour construire un plan d'action. Avec une attention particulière aux populations à risque, en particulier les salariés les plus jeunes et les mamans solos, les malades chroniques et les salariés gros télétravailleurs, les salariés aidants... Mais aussi les cadres et les managers particulièrement exposés eux aussi.

Des dirigeants « chefs d'orchestre ».

Parmi les préconisations du rapport figure d'ailleurs le fait de reconnaître les managers, « souvent enserrés dans des jeux d'injonctions difficilement conciliables », « comme facteur de risque, mais aussi de protection ». Il faut aussi « équiper les salariés » non pas en se limitant à fournir des solutions individuelles, mais en réalisant des enquêtes régulières pour prendre le pouls du personnel et en sanctionnant les comportements déviants.

Enfin, et c'est peut-être par là qu'il faut commencer, Terra Nova conseille de « développer la responsabilité des dirigeants comme chefs d'orchestre de la transformation ». En n'oubliant pas que « le dialogue social, un domaine en grande partie à la main du dirigeant, est aussi un facteur de protection de la santé mentale lorsqu'il est de qualité ».