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El Roslino
Alors que 11 millions de compteurs communicants ont déjà été installés en France, l'opposition n'a jamais été aussi forte. Enedis fait l'autruche.
"Enedis, touche pas à mon compteur", pouvait-on lire, le 5 mai 2018, à Autrans (Isère) sur une grande banderole accompagnant 300 manifestants anti-Linky vêtus d'un gilet de sécurité fluo. À Bordeaux, le même jour, ils étaient 200 à manifester, clamant "Non au contrôle de nos données personnelles", "Compteurs imposés = Où est notre liberté ?".
Des opposants isolés ? Pas vraiment. Au moins dix-sept collectifs luttent contre le compteur communicant qu'Enedis, l'ex-ERDF, filiale d'EDF, est en train de déployer.
Et la plate-forme d'action juridique collective Mysmartcap a enregistré près de 5 000 inscrits, qui vont lui permettre de lancer des actions en référé contre la pose de Linky dans une vingtaine de juridictions en France cet été. Objectif : permettre à ceux qui le souhaitent de refuser légalement l'installation d'un compteur Linky chez eux.
Une finalité que des députés de La France insoumise ont repris dans une proposition de loi déposée le 16 mai... qui a peu de chance d'être proposée au vote.
Ondes électromagnétiques, espionnage numérique, inflation de la facture électrique... Les craintes ne sont pas toutes injustifiées. L'Agence nationale de sécurité sanitaire de l'alimentation, de l'environnement et du travail (Anses) a bien conclu à une " très faible probabilité" de "risques sanitaires à court ou long terme" à cause de Linky.
Mais le directeur général de l'Anses, Roger Genet, déplore qu'"il n'y ait pas eu d'étude d'impact en amont". Et malgré le contrôle de la Commission nationale de l'informatique et des libertés (Cnil) et de l'Agence nationale de la sécurité des systèmes d'information (Anssi) sur Linky, le côté Big Brother du compteur ne cesse d'inquiéter. "L'État connecte nos foyers à des systèmes communicants centralisés et remplace toute intervention humaine par le pilotage automatique et le big data", dénoncent les collectifs anti-Linky.
Leurs membres ne sont pourtant pas tous des activistes écologistes antilibéraux. "Les personnes qui participent à la class action ne sont pas contre la transition énergétique, mais voient Linky comme le Minitel, déjà obsolète et à sens unique", détaille Christophe Lèguevaques, l'un des quatre avocats de la plate-forme Mysmartcap. Conçu dans les années 2000, Linky a en effet tout d'une boîte noire ne respectant aucun des codes des objets connectés d'aujourd'hui.
Des compteurs pensés par et pour Enedis.
"Ce qui serait passé il y a encore cinq ans, avant les affaires Snowden et Cambridge Analytica, ne passe plus", observe Benoît Thieulin, le directeur de l'innovation d'Open et ex-président du Conseil national du numérique (CNNum). Les citoyens sont désormais conscients de la valeur de leurs données et des problèmes de confidentialité.
"S'il y a création de valeur, il faut qu'elle soit partagée", rappelle Benoît Thieulin. Or le moins que l'on puisse dire, c'est qu'avec Linky, la valeur va essentiellement au réseau et à Enedis. "Il y a eu un arbitrage contre l'afficheur déporté qui était demandé par UFC-Que choisir.
Cela aurait permis à chaque consommateur de se rendre compte de ce que cet outil lui apportait", observe l'ex-ministre de l'Environnement Delphine Batho. Pour la député des Deux-Sèvres, régulièrement interrogée sur Linky, le projet pâtirait aussi "d'un déficit de portage politique" auprès du grand public, "comme en avait bénéficié le passage à la TNT, la télévision numérique terrestre".
"S'il y avait eu une communication forte du gouvernement à l'automne 2015, cela nous aurait bien aidés", reconnaît Bernard Lassus, le directeur du projet Linky chez Enedis.
Même s'il explique lui-même qu'elle aurait été peu efficace. "Il est difficile de parler d'un compteur qui va arriver dans cinq ou six ans. On a donc pris le parti de la communication locale", explique-t-il.
Mais habitué à un monde de l'énergie centralisée, réservé aux experts, Enedis ne fournit qu'une information purement technique, ne s'étendant pas sur les bénéfices qui paraissent dérisoires pour les utilisateurs.
Enedis n'avait, semble-t-il, pas compris qu'il allait installer chez les gens un objet connecté sans leur demander leur avis. Pas plus qu'il n'avait anticipé la vitesse à laquelle la révolution numérique allait changer les mentalités. Est-il encore temps d'avoir une communication nationale ?
"Maintenant que l'on a installé 11 millions de compteurs et que tout le monde connaît quelqu'un qui en a un, on y réfléchit", reconnaît Bernard Lassus, sans grande conviction. Car pour lui, pas de doute, Linky est un bon compteur.
"Tout ce qui sert le distributeur sert le client final ", rappelle-t-il en se justifiant par le fait qu'Enedis ne fait que suivre une directive européenne de 2009 et une loi française de 2015. "On ne fait rien pour nous-même, nous sommes un service public", répète Bernard Lassus. Un service public qui a peut-être une révolution numérique de retard.
L'aventure Linky en 15 dates :
2004 : Début du projet de compteur communicant chez EDF.
13 juillet 2005 : Décret sur les compteurs dans la loi dite POPE (programme fixant les orientations de la politique énergétique).
2006 : Directive européenne recommandant le développement de compteurs intelligents.
2007: Lancement officiel du projet Linky (le nom est trouvé en mars 2009) avec l'objectif d'équiper toute la France à l'horizon 2021.
1er janvier 2008 : Création d'ERDF, filiale indépendante d'EDF de distribution de l'électricité, suite au troisième paquet de l'énergie européen.
2009 : Directive européenne incitant à ce qu'au moins 80 % des clients soient équipés de systèmes intelligents de mesure des consommations d'ici à 2020.
2010- 2011 : Expérimentation de Linky avec 300 000 compteurs en Indre-et-Loire et à Lyon.
Juin 2011 : Avis favorable au déploiement de la Commission de régulation de l'énergie.
Novembre 2012 : Concertation entre acteurs publics et les associations de consommateurs.
Janvier 2013 : Arbitrage contre l'afficheur déporté, jugé trop cher par la CRE.
Juillet 2013 : Premier appel d'offres pour le remplacement de 3 millions de compteurs électriques.
Août 2015 : La Loi transition énergétique pour la croissance verte impose la mise à disposition des consommateurs des données de leur consommation.
1er décembre 2015 : Début de l'installation des Linky. Coût du programme estimé entre 5 et 6 milliards d'euros.
2018 : 11 millions de compteurs remplacés. La grogne anti Linky s'intensifie.
2021 : 35 millions de compteurs Linky devraient être installés par Enedis en France.
Un projet industriel XXL.
35 millions de compteurs communicants à fabriquer et à poser en six ans.
4,7 milliards d'euros de budget initial pour la phase de déploiement (2015-2021), dont 48 % pour la pose. Il serait ramené à 4,2 milliards selon Enedis. La Cour des comptes évalue l'ensemble du projet à 5,7 milliards d'euros.
Six fournisseurs assemblent les équipements Linky en France : l'équipementier français Sagemcom à Dinan (Côtes-d'Armor), l'américain Itron à Chasseneuil-du-Poitou (Vienne), la filiale du japonais Toshiba Landis + Gyr à Montluçon (Allier), l'allemand Elster à Estrées-Deniécourt (Somme) et l'espagnol Ziv à Grenoble (Isère).
Le français Cahors, à Cahors (Lot), assemble, lui, les 700 000?concentrateurs installés dans les postes basse et moyenne tension.
0,2 à 0,4 % de taux de rebut sur les compteurs (plafond contractuel de 1 %).
Trente minutes pour la pose d'un nouveau compteur, avec un taux d'intervention de 0,85 % suite à un problème.
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