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Message 1 Discussion postée le 24-09-2020 à 14:53:59

El Roslino
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L'Assassinat de Jesse James

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Jesse James.



A 34 ans, Jesse James, auteur de multiples attaques de banques et de diligences, accusé de dix-sept meurtres, est poursuivi par les polices de dix Etats. Ce sudiste, fils de pasteur, est devenu un rebelle après la guerre de Sécession, sauvagement fouetté à 16 ans par les "tuniques bleues", déterminé à se venger des Yankees. Les populations qu'il terrorise le considèrent comme un criminel, mais la presse en a fait un héros, et des romans à 1 cent alimentent sa légende de "brigand bien-aimé", ennemi des banquiers et des propriétaires de chemins de fer, défenseur des petits fermiers exploités.

Comme Billy le Kid, ce Robin des bois du Missouri a donc alimenté une saga romantique qui en fera l'un des anges déchus de la conquête de l'Ouest. Le film que lui consacre Andrew Dominik commence en 1881, alors qu'il s'apprête à piller un train.

Enraciné dans l'histoire des Etats-Unis, le western est un genre qui cavalcade entre réalité et fiction. Dans L'Homme qui tua Liberty Valance, John Ford a montré en 1962 comment se forgeait un mythe destiné à construire la nation. Un aventurier de l'Ouest y tuait un hors-la-loi, mais c'est un avocat épris d'idéaux qui endossait le costume du héros local. "Quand la légende surpasse la réalité, imprimez la légende", glissait John Ford. Le film d'Andrew Dominik prolonge le débat, pour s'interroger sur l'évolution du "dieu à cheval" qui, tôt ou tard, se retrouve traqué par un ancien compagnon devenu bras armé de la loi. Ce fut le cas de Billy le Kid, abattu par son ancien ami Pat Garrett.

UN PASSÉ RÉVOLU ?

Comment l'insurgé et le shérif, le symbole de la liberté individuelle et celui de l'ordre collectif, peuvent-ils désormais ne plus faire qu'un et incarner l'idéal américain ? Ce dilemme est si difficile à résoudre que, dans le cas de Jesse James comme dans celui de Billy le Kid, le mercenaire (image d'un passé révolu ?) est tué dans le dos, pris en traître. Faut-il interpréter cette mort indigne comme une autopunition ? Ce pays traîne ce malaise, cette piste de justification.

Mais, reprenant aussi le thème d'une nouvelle de Borges sur le traître et le héros, L'Assassinat de Jesse James par le lâche Robert Ford est un film sur les ruses de la fiction dans l'Histoire, et sur la représentation. Jesse James (ici incarné par Brad Pitt, qui arbore la mine dépressive de l'icône enfermée par la célébrité) n'est pas montré comme il fit rêver mais comme il fut : plus cynique que philanthropique, tyran, ombrageux, méfiant, méprisant, vulnérable, solitaire. Incompris peut-être, mal dans sa peau. "Je suis à plaindre", dit-il, habillé de noir, fumant le cigare.

Tour à tour impitoyable, inquiétant et jovial, comme par jeu. Il a deux visages : celui du citoyen élégant (il a épousé sa cousine Zerelda et a deux enfants qu'il adore) et celui du chef de gang sans états d'âme (il frappe férocement un employé de train, supprime l'un de ses complices qui voulait le quitter). Celui qui va l'assassiner lâchement d'une balle dans la nuque, en 1882, s'appelle Robert Ford. Un gamin qui a grandi dans le culte de James, connaît par coeur ses exploits relatés dans les fameux fascicules populaires et piaffe d'être enrôlé dans le gang. L'Assassinat de Jesse James... partage le premier rôle avec ce groupie simplet, ce minet au regard fuyant, fan crampon qui se projette en double du hors-la-loi, magistralement interprété par Casey Affleck, frère de Ben et star en herbe.

RÉPROBATION GÉNÉRALE

Jesse James se moque de lui, le traite de casse-pieds, mais le prend sous son aile. Il le teste, lui offre un flingue. Qui sait si, désarmé, monté sur une chaise pour épousseter un tableau, il ne se livre pas délibérément à lui, s'il ne l'a pas choisi comme bourreau ? Il s'agit d'un face-à-face entre deux hommes qui ne savent plus ce qu'ils sont ou veulent être.

L'un, jaloux de son frère Frank et redoublant de violence pour le surpasser aux yeux des siens, de ses compatriotes. L'autre, considéré comme un idiot, un moins que rien, et finissant par liquider son idole pour être quelqu'un, toucher la rançon, et parce qu'il avait découvert que l'ennemi public numéro un n'était pas conforme aux récits qui l'avaient fait gamberger. Entre haine et vénération.

Après la mort de James, le spectacle continue. Les photos de son cadavre sont vendues 2 dollars. Robert Ford rejoue chaque soir sur scène l'assassinat du brigand. Mais il est désavoué par la presse, poursuivi par la réprobation générale, et se fait tuer une dizaine d'années plus tard par un dénommé Ed O'Kelley. Il échoue à entrer dans l'Histoire. Chacun reste figé dans le rôle que la société lui a imposé de jouer.

L'Assassinat de Jesse James... est un western de l'an 2000. Les personnages y évoluent lentement, presque au ralenti, gardant la pose, dans des plans languides, contemplatifs, une atmosphère mortifère.

C'est un western lyrique, beau comme un film de Terence Malick, en plus mélancolique, voué au temps dilaté, à l'attente. Un western silencieux sur l'absurde, le trouble, la fascination. Une complainte, rythmée par une voix off. Un poème, un pèlerinage, une poursuite de fantômes.